Story Telling en Parfumerie, les limites du discours ?
La Parfumerie Podcast : Jusqu’où peuvent aller les histoires ?
Saison 2 – Épisode 15
Une présentation illustre : Le Zen (en Bois d’Argent de Christian Dior) & L’Ancien (en Noir Anthracite de Tom Ford), nous parlent du Story Telling et du discours en parfumerie.
Écouter cet épisode du podcast sur le Story Telling en Parfumerie :
Story Telling, un discours inévitable
Le business du parfum a cette particularité de devoir mettre en avant un produit qui ne peut ni s’exprimer ni être photographié. Le parfum, ce jus qui est l’âme du produit, ne se voit pas.
Il devient dès lors inévitable de chercher des solutions, particulièrement depuis l’avènement du commerce en ligne où l’on ne peut même pas le sentir avant de l’acheter.
Des spots publicitaires aux slogans accrocheurs
On a donc vécu l’ère de la télévision avec les réalisations les plus farfelues et abstraites, pour finir de nos jours avec des images, des vidéos cherchant à déclencher l’achat.
Le parfum est un récit
Jean-Claude Ellena nous l’a dit, il est un écrivain d’odeurs. Les parfumeurs sont des artistes qui racontent des histoires avec des notes, des accords. Peu de gens le comprennent, mais les parfums sont des récits. Le problème de ces histoires c’est qu’elles ne se racontent pas avec des mots.
Le parfum est un monde dont les parfumeurs écrivent les journées. Un monde d’autistes dont il faut s’imprégner pour en comprendre les vibrations. Il n’a pas de langue, pas de vocabulaire. Sa seule terminologie n’est même pas la sienne, elle est empruntée à celle de la musique. Rien n’est palpable.
Le parfumeur, cet incompris
Les habitants de ce monde ne se comprennent donc qu’entre eux. Ils n’ont pas besoin de se contraindre à maintes explications pour éclairicir leurs discours. Ils sont d’une même famille, d’une même fratrie, d’une même patrie.
C’est lorsqu’ils doivent s’adresser aux gens de notre monde que tout se complique. D’abord l’acheteur potentiel ne connait rien de ce langage, il n’en connait aucun mot en dehors de quelques correspondances usuelles : orange, savon, vanille, frais, sexy… son quotidien figé.
L’autre grande problématique vient des partenaires des mêmes marques. On a là des habitants d’un même continent, mais qui ne parlent malheureusement pas la même langue. Les marketeurs, chefs de projets… le pire étant les directeurs artistiques qui sont censés être les traducteurs entre tous les protagonistes, mais ne comprennent pas un mot du parfum. C’est dans ce brouhaha que s’éditent nos parfums.
Les Directions Artistiques du Marketing
C’est dans ce flou, cette incompréhension, cette incompétence, que les Directions Artistiques des marques construisent bien souvent leurs discours. En allant à contre-pied de l’histoire écrite par les compositeurs, ces marketeurs dénaturent le sens des parfums.
C’est un peu le cas de La Petite Robe Noire de Guerlain. Nul n’a compris finalement l’appelation Black Perfecto de son flanker, qui, selon le titre, aurait dû être un parfum au cuir bien ronflant. Même si donc on a eu droit (enfin) à une belle version de ce blockbuster féminin, le discours était bel et bien raté, né d’une pulsion marketing aux antipodes du discours olfactif.
Le discours, nécessité commerciale
Le parfum ne parle pas
À l’ère du commerce en ligne, vendre du parfum n’est certainement pas aisé. Ce produit ne se voit pas et ne parle pas. D’où l’importance d’un flacon qui lui corresponde et d’une description obligatoire pour exprimer son contenu. Il ne s’agit pas ici de vendre un vêtement, dont finalement il ne manquera que le toucher pour être convaincu.
C’est avec ce système de vente sur internet que les spots publicitaires ont pris une place encore plus importante. Comment faire transparaître l’odeur d’un parfum sans que le prospect ne le sente ? C’est face à cette problématique que les Directions Artistiques, et les équipes marketing liées, enchainent les faux-pas.
Jusqu’où peut-on placer des mots ?
Le vrai problème de ces discours réside dans les limites de la communication, dans le respect du vrai sens de l’histoire. Combien de fois le Story Telling autour d’un parfum était à côté de la plaque ? Il n’y a qu’à voir des exemples comme le clip de Gabrielle de Chanel. Une femme émancipée qui s’envole et brise ses chaines… pour à la fin sentir un jus sans aucun caractère, sans âme. Aucune adéquation.
De la poudre aux yeux
C’est en cette expression que se résume le mieux la communication publicitaire. Mais cela nous rend surtout aveugle au vrai sens de certains parfums. Faut-il vraiment donc communiquer ?
Le changement c’est maintenant
C’est en prenant en considération tout ce que nous venons d’évoquer, que l’on saisi le poids des mots. Il faut trouver un juste milieu. Le titre du parfum est clairement la voix d’un sans voix. Quoi de mieux pour illustrer un message, une histoire, que de lui donner un titre ? La parfumerie de Niche s’y adonne depuis plus de 20 ans, même 30 ans. Mais cette même Niche est en pleine mutation.
Cette parfumerie est en plein boum. Les gens, de plus en plus lassés du Mainstream, s’y dirigent. Il faut donc commencer à changer ses noms de parfums qui n’évoquent rien pour cette nouvelle clientèle. Fini les noms de matières qui ne font rêver que les perfumistas. Fini les Crystal Pistil, les Musc Pure Essence, les Bigarade Concentrée… le peuple veut rêver et le peuple est chez vous désormais.
Les Indépendants et la com
Face à cette nouvelle vague de clients il va falloir donc s’adapter. Chose aisée pour certaines marques bien encadrées par les grands groupes, plus complexe pour celles qui ont du mal avec la com. Car il est des indépendants qui se débrouillent bien, comme pour le cas d’État Libre d’Orange, mais il y a des petites enseignes qui n’ont ni les moyens d’avoir des employés qualifiés en marketing, ni ne s’y connaissent eux-mêmes.
Certains comptes Instagram en disent long sur ce manque de maitrise, celui de David Jourquin en est le triste exemple. Les campagnes vidéos de Pure Distance aussi… il y a de quoi pleurer, mais surtout matière à comprendre pourquoi ces marques ne fonctionnent pas.
Les faux-pas
L’importance d’être bien entouré se montre aussi lorsque c’est le parfumeur lui-même, ou son équipe, qui monte le discours. Le cas de Cuir Ottoman de Parfum d’Empire est parlant. Boulettes, clichés, on en passe et des pires. Communiquer n’est pas donné à tous.
C’est un vrai problème d’indépendants qu’ils se doivent de résoudre. Nul n’est parfait et les erreurs arrivent, mais ils sont clairement les mieux placés pour tomber dans ce piège. Avec la démocratisation de la Niche il va falloir s’adapter de force, avant de passer à la trape à cause d’une erreur de langage qui pourrait coûter très cher à une marque qui n’a que peu de moyen pour assumer une crise.
Le minimalisme du discours
C’est avec expérience et une grande compréhension du terrain que des marques comme Serge Lutens et Frédéric Malle sont passées maitres du discours parfaitement affuté. On pourrait d’ailleurs citer aussi la marque Jovoy, parfaitement dirigée par un champion de la vente, François Hénin.
Au lieu de se perdre, ou risquer de se perdre, dans un Story Telling hasardeux, ces Maisons ont opté pour la communication minimum. Des noms qui parlent d’eux-mêmes et qui interpellent, surtout pour Lutens, et des descriptifs minimalistes.
Ceci permet de garder le mystère et la proposition imaginative du nom du parfum, de le placer dans le contexte imparable de l’image de marque et de ne pas dérouter l’acheteur une fois le flacon sous le nez.
Faites-nous part de vos histoires sur ces histoires !
1 Commentaire
Soumettre un commentaire
La Saison 2 du Podcast Parfum La Parfumerie
Tous les épisodes :
Industrie du Parfum : Créer, pour quoi faire ?
La Parfumerie Podcast finit la Saison 2 en tirant à balles réelles ! On parle du rapport Créativité / Productivité et bien au-delà. Un tour d’horizon de ce qui se trame en parfumerie…
Les Temps Dansent…
Les tendances du parfum mainstream décryptées par La Parfumerie Podcast. Une vision entre passé et futur. Où va le parfum conventionnel ?
La Matière Première d’Aurélien Guichard
une interview en toute sincérité enregistrée avec le parfumeur Aurélien Guichard de Matière Première, sa vision du parfum, une philosophie.
Privé is the new Mainstream
État des lieux de la parfumerie de luxe : Alors que dans le Privé les prix montent et que les jus baissent en qualité, on se doit de faire le point.
Ball-Trap Awards : Les Lauréats du Millésime 2020
On a fini par choisir, en toute humilité, les parfums qui nous ont le plus convaincus pour l’année 2020. Remise de prix !
Dominique Ropion vs Bertrand Duchauffour !
Dominique Ropion VS Bertrand Duchauffour, Les shot de titans d’Olfactive Studio ! On met en opposition les parfums de la collection Sépia, une vraie réussite.
Prix de La Légende et Parfums de l’année – Le Débat
Ball-Trap Awards : Prix Légende / Parfums de l’année, le débat entre Le Zen et L’Ancien ! On se prend la tête sur les remises de prix, un podcast à écouter forcément.
Tom Ford
Tom Ford, une marque qui a bougé les codes du parfum privé dans le monde, souffre désormais de ses nouveautés médiocres. Tour d’horizon.
Floratropia ensauvage le parfum
Floratropia, marque de parfum 100% naturel, apparait comme une bouffée d’air pur dans le monde de la parfumerie. On en parle avec sa fondatrice, Karine Torrent.
Hasbeenitudes et antithèses
Certaines marques de parfum, avec le temps se retrouvent couvertes d’une image has been, pourtant la modernité est au rdv dans leurs catalogues.
Hyper intéressant votre échange.. merci bcp